Accès gratuit
Numéro
Le Nouveau Praticien Vét élevages & santé
Volume 14, Numéro 51, 2022
Affections respiratoires et vaccins chez les bovins
Page(s) 33 - 36
Section Dossier : Affections respiratoires et vaccins chez les bovins
DOI https://doi.org/10.1051/npvelsa/2022054
Publié en ligne 17 janvier 2023

© EDP Sciences, 2022

Objectif pédagogique

  • Connaître les arguments pouvant justifier la mise en œuvre d’une vaccination des vaches contre certains agents de pneumonie en complément de la vaccination des veaux et des jeunes bovins.

  • Connaître les résultats pouvant être attendus d’un tel plan de vaccination.

Essentiel

  • Des pneumonies à M. hæmolytica sont une cause assez fréquente de mort chez le bovin adulte.

  • La prise d’un colostrum de vaches vaccinées contre le VRSB et M. hæmolytica conduit à une protection partielle, lors d’une épreuve virulente, contre ces deux agents infectieux.

  • Une moindre incidence des maladies respiratoires est observée, même si cet effet varie selon les bâtiments.

Les troubles respiratoires constituent toujours une pathologie dominante chez les jeunes bovins. Les agents étiologiques incriminés sont multiples mais le virus respiratoire syncytial bovin (VRSB) et Mannheimia hæmolytica sont considérés comme les plus problématiques en raison de leur prévalence élevée et de leur pouvoir pathogène important, en particulier dans les élevages naisseurs. Une vaccination des veaux et jeunes bovins est souvent mise en œuvre vis-à-vis de l’un ou de ces deux agents infectieux même si des limites sont à relever : l’âge minimum à partir duquel le veau peut être vacciné (variable selon les vaccins) et le nécessaire délai d’instauration de l’immunité (pouvant varier selon les protocoles de primovaccination des vaccins) peut conduire à des « échecs » ressentis par l’éleveur (« malgré la vaccination, j’ai des affections respiratoires chez mes veaux »). Depuis quelques années se développe en élevage une vaccination plus large que celle des seuls bovins à risque de maladie respiratoire, avec une vaccination des mères en complément de la vaccination des veaux. Cet article se propose de faire la synthèse des effets à en attendre.

Pourquoi vacciner les vaches pour protéger les veaux ?

Un premier avantage serait de favoriser un enrichissement éventuel du colostrum en anticorps d’intérêt [1, 2] permettant une protection des veaux au cours des premières semaines de vie (Photo 1). Cependant, l’impact de l’immunité d’origine colostrale vis-à-vis des affections respiratoires porte encore à débat dans la littérature scientifique. Des essais cliniques réalisés en condition expérimentale chez des veaux de 3 semaines ont montré, après épreuve virulente par le VRSB [3] et par M. hæmolytica [4], qu’une protection clinique partielle est conférée par l’absorption du colostrum de mères vaccinées à l’aide d’un vaccin dirigé contre le VRSB, le Pi-3 et M. hæmolytica.

thumbnail Photo 1

Une protection partielle à la suite d’une épreuve virulente est observée chez des veaux dont les mères ont été vaccinées contre le VRSB et M. hæmolytica. (Crédit photo Guillaume Belbis).

Un second avantage de la vaccination de la totalité du troupeau (et non seulement des animaux à risque) serait d’abaisser la pression infectieuse sur les jeunes animaux en limitant la proportion d’animaux excréteurs. Les bovins adultes peuvent en effet constituer des réservoirs d’agents pathogènes [5], et les contacts prolongés entre les mères et les veaux seraient à même de favoriser la contamination de ces derniers. À notre connaissance, au moment de la rédaction de cet article, cette hypothèse n’a pas reçu de validation scientifique (Photo 2).

thumbnail Photo 2

Les bovins adultes constituent très probablement un réservoir favorisant l’infection des veaux. (Crédit photo Guillaume Belbis).

Vacciner les reproducteurs peut avoir un troisième avantage théorique : protéger ces animaux contre les bronchopneumonies infectieuses enzootiques (BPIE) et leurs conséquences. Les broncho- et pleuro-pneumonies infectieuses sont souvent considérées comme une problématique des veaux et des jeunes bovins, catégories chez qui elles représentent une cause majeure d’appel en pratique courante. Néanmoins, ces pneumonies infectieuses sont rencontrées chez les bovins adultes, même si leur prévalence est plus faible (prévalence estimée aux USA entre 2,4 et 2,9 % [6]).

Les données d’autopsie

Aux Pays-Bas, des épisodes d’infections fatales causées par M. hæmolytica ont été rapportées très récemment chez des vaches laitières [7]. Sur la période s’étendant de 2004 à 2013, une augmentation de la mortalité de vaches adultes des suites de pneumonies causées par M. hæmolytica a été observée dans les bases de données du système de surveillance national néerlandais, avec des cas 1,5 fois plus fréquents pour chaque période de 3 ans. De tels résultats ont également été rapportés en Écosse chez des vaches laitières [8].

En France, l’équipe du service d’autopsie de l’École vétérinaire de Nantes a analysé ses données d’activité entre 2013 et 2019 afin d’estimer l’importance de ces infections pulmonaires chez les bovins adultes autopsiés, ainsi que les lésions et agents infectieux associés aux pneumonies des bovins adultes [9]. Après examen macroscopique, des analyses histologiques et PCR multiplex ont été réalisées sur les lésions observées. Durant la période d’étude chez les 737 bovins adultes (c’est-à-dire âgés de plus de deux ans) autopsiés, les troubles respiratoires ont été la cause du décès dans 115 cas (soit 15,1 % des animaux); ce qui en fait la seconde cause de mort dans la population étudiée, après les affections digestives au sens large.

Parmi ces 115 cas, des lésions d’infection pulmonaire primaire étaient retrouvées dans 49 cas. Les autres cas rencontrés étant des cas de pneumonie thromboembolique (46/115), des pneumonies par fausse déglutition (11/115), des bronchites vermineuses (5/115) et des pneumonies métastatiques (4/115). Des lésions de pleurésie fibrineuse, associées à une coloration rouge-foncée du parenchyme pulmonaire et une augmentation (marquée à sévère) de la consistance pulmonaire étaient rencontrées assez fréquemment (38 cas sur 49) (Photo 3). Des prélèvements de poumon ont été réalisés pour analyse ultérieure dans 26 cas : les analyses histologiques et bactériologiques confirment l’implication fréquente de M. hæmolytica (69,2 % des cas des 26 poumons) et P. multocida (61,5 %). Les autres bactéries classiquement impliquées dans les pneumonies infectieuses des bovins (H. somni, M. bovis) sont moins fréquemment rencontrées. Parmi les virus, le coronavirus bovin était présent dans 30 % des cas. Notons que M. hæmolytica était détecté plus souvent (p, 0,001) lors de lésions de bronchopneumonie fibrineuse, hémorragique ou nécrotique, ce qui n’est pas le cas pour les autres bactéries détectées : cela suggère l’implication de cette bactérie dans ce type particulier de lésion touchant les bovins adultes.

thumbnail Photo 3

Lésions de pleuropneumonie chez une vache, secondaires à une infection par M. hæmolytica. (Crédit photo Guillaume Belbis).

Ces deux études soulignent une implication probablement grandissante de M. hæmolytica comme cause de pneumonie avec mortalité chez les vaches adultes : une vaccination de ces dernières contre ce pathogène pourrait augmenter leurs capacités de défense. Il n’existe cependant pas de données permettant de confirmer cet intérêt théorique dans des conditions de terrain. Il serait également pertinent de disposer d’enquêtes épidémiologiques face à ce type de cas clinique afin d’identifier des facteurs de risque conduisant à cette affection réputée plus rare chez l’adulte.

Quels résultats attendre d’un tel schéma de vaccination ?

Une vaccination du troupeau fait partie des préconisations de certains auteurs pour réduire l’incidence des bronchopneumonies chez les jeunes bovins en Amérique du Nord [10]. Néanmoins, ce type d’intervention présente un coût non négligeable pour l’éleveur (coût des vaccins, coût du travail nécessaire pour de tels chantiers de vaccination) : l’évaluation de l’efficacité de ces préconisations parait par conséquent nécessaire.

L’impact vaccinal contre des agents de pneumonie a été très peu étudié sur l’ensemble du troupeau : un travail mené par l’équipe d’Oniris constitue à l’heure actuelle l’un des seuls travaux d’évaluation dans la littérature [1]. Cette étude a été menée en élevages de vaches allaitantes au cours de deux campagnes de vêlages successives. La vaccination des vaches et des veaux s’est faite avec un vaccin dirigé contre M. hæmolytica, le VRSB et le virus Pi-3 (Bovilis® Bovigrip) et l’incidence des troubles respiratoires a été observée chez un total de 6 875 veaux, répartis dans 77 bâtiments, inclus dans l’analyse statistique.

Tous les veaux et jeunes bovins présents dans les bâtiments étaient vaccinés à chaque campagne de vêlage; ce qui correspond en pratique à la vaccination des animaux les plus à risques de maladie respiratoire. Ces veaux étaient vaccinés selon le résumé des caractéristiques (RCP) du vaccin : primovaccination avec 2 injections à 1 mois d’intervalle; 1re injection dès 15 jours d’âge. Un rappel vaccinal était réalisé à 4 mois d’âge si le veau était encore présent dans le bâtiment.

La première année de l’étude, les mères placées dans une moitié des bâtiments concernés étaient vaccinées, alors que celles présentes dans le reste des bâtiments ne l’étaient pas. La seconde année les vaches non vaccinées en première année étaient vaccinées, alors que celles qui avaient été vaccinées la première année ne l’étaient pas la seconde année : un bâtiment pouvait être « vacciné en année 1 – non vacciné en année 2 » ou « non vacciné en année 1 – vacciné en année 2 ». L’année de vaccination des vaches était assignée par randomisation.

Les principaux résultats de cette étude sont les suivants [1] :

  1. Le taux d’incidence des maladies respiratoires par bâtiment (estimé comme le taux de 1er cas de bronchopneumonie traité) était de 0,66 premier cas pour 1 000 veaux-jours exposés lors de la 1re année d’étude, et de 0,62 lors de la seconde année d’étude. Les différences observées entre les deux années d’étude n’étaient pas significatives.

  2. Lorsque les données globales des deux années étaient analysées, on observait une tendance à une réduction de l’incidence dans les bâtiments où les mères étaient vaccinées (incidence de 0,59 premier cas pour 1 000 veaux-jours exposés) par rapport aux bâtiments où les vaches n’étaient pas vaccinées (incidence de 0,69). Cette différence n’était cependant pas significative (p = 0,73).

  3. Lorsque les données ont été analysées séparément par année (ce qui conduit à gommer l’effet potentiel du bâtiment sur la survenue des troubles), les auteurs ont observé en première année de l’étude une réduction de l’incidence, cette fois-ci significative, dans les bâtiments où les vaches étaient vaccinées par rapport aux bâtiments où les mères ne l’étaient pas (Tableau 1). Durant la seconde année de l’étude, une tendance inverse à la réduction plus forte était observée dans les troupeaux non vaccinés en année 2 mais vaccinés en année 1. Étant donné la durée d’efficacité revendiquée par le vaccin, l’effet bâtiment serait marqué dans la survenue des troubles, et la plus faible incidence en année 2 serait la conséquence d’un moindre effet bâtiment.

  4. Dans les troupeaux « non vaccinés en année 1 – vaccinés en année 2 », on observe une forte tendance à une plus faible incidence la 2e année de l’étude (année où les mères étaient vaccinées) par rapport à la 1re année de l’étude (année où les mères ne l’étaient pas). Néanmoins en raison de la modalité de réalisation de l’essai, une influence du bâtiment sur ces résultats ne peut être négligée.

  5. Les veaux présents dans les bâtiments où les mères étaient vaccinées en année 1 tendent à un moindre risque d’être malade.

Par conséquent, la vaccination des mères contre le VRSB, le virus Pi-3 et M. hæmolytica en complément de la vaccination des animaux à risques (veaux et jeunes bovins) pourrait, selon cette étude, conduire à une diminution de l’incidence des troubles respiratoires (à des degrés probablement variables en raison d’un effet bâtiment). Cependant, plusieurs biais, notamment l’absence de la prise en compte de l’effet bâtiment sur la survenue des troubles (variable probablement d’une année sur l’autre), rendent difficile de tirer des conclusions plus larges sur l’intérêt de cette modalité de vaccination. Les auteurs soulignent l’importance de compléter ces travaux pour mieux comprendre les effets observés.

Tableau 1

Effet de la vaccination des vaches sur l’incidence des premiers cas de bronchopneumonie infectieuse selon l’année.

Conclusion

Les preuves de l’intérêt d’une vaccination des mères en complément de la vaccination des bovins à risque pour lutter contre les maladies respiratoires sont peu nombreuses. La survenue de troubles respiratoires d’origine bactérienne chez les bovins adultes pourrait conduire le praticien à proposer leur vaccination pour prévenir ces affections, même si peu de données permettent de l’étayer.

La vaccination de tout le troupeau pour prévenir les affections des jeunes bovins, modalité vaccinale dont le coût s’avère important, est à apprécier sur la base des données de la littérature : la seule étude disponible présente des biais (importance probable de l’effet bâtiment sur les résultats), et les effets sur l’incidence en dehors de ces biais paraît faible. Il nous paraît nécessaire, si jamais un tel protocole vaccinal est mis en œuvre, de réaliser tout d’abord une bonne analyse des facteurs de risques propres à l’élevage et une correction de ceux-ci. Une fois les facteurs de risque corrigés, si la pathologie perdure, une telle vaccination pourrait être proposée, en précisant à l’éleveur les effets à en attendre.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare ne pas être en situation de lien d’intérêt en relation avec cet article.

Références

  1. Assié S, Dabo AC, Guin B, Lehebel A. Effet de la vaccination de l’ensemble du troupeau allaitant avec le vaccin Bovilis BOVIGRIP® sur l’incidence des maladies respiratoires chez les veaux. In Journées Nationales des GTV, Nantes, 2013. pp. 201–205. [Google Scholar]
  2. Meyer G, Maillard R, Corbière F, Schelcher F. Données actuelles sur les viroses respiratoires des bovins. Le Point Vétérinaire 2011;42:26–33. [Google Scholar]
  3. Meyer G, Cuquelle A, Delverdier M, Ronsin L, et al. Protection des jeunes veaux contre le virus respiratoire syncytial bovin par la vaccination des vaches en fin de gestation avec Bovilis Bovigrip®. In Journées Nationales des GTV 2015;771–775. [Google Scholar]
  4. Makoschey B, Ramage C, Reddick D, Fraser S, Donachie W. Colostrum from cattle immunized with a vaccine based on iron regulated proteins of Mannheimia hæmolytica confers partial protection. Vaccine 2021;30:969–973. https://doi.org/10.1016/j.vaccine.2011.11.044. [Google Scholar]
  5. Rice JA, Carrasco-Medina L, Hodgins DC, Shewen PE. Mannheimia hæmolytica and bovine respiratory disease. Anim Health Res Rev 2007;8:117–128. https://doi.org/10.1017/S1466252307001375. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Guterbock WM. The impact of BRD: the current dairy experience. Anim Health Res Rev 2014;15:130–134. https://doi.org/10.1017/S1466252314000140. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Biesheuvel MM, van Schaik G, Meertens NM, et al. Emergence of fatal Mannheimia hæmolytica infections in cattle in the Netherlands. Vet J 2021;268:105576. https://doi.org/10.1016/j.tvjl.2020.105576. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Outbreaks of bacterial pneumonia in dairy cows. (pas d’auteurs listés) Vet Rec 2014;174:498–501. https://doi.org/10.1136/vr.g3074. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Dorso L, Rouault M, Barbotin C, Chartier C, Assié S. Infectious Bovine Respiratory Diseases in Adult Cattle: An Extensive Necropsic and Etiological Study. Animals (Basel) 2021;11(8):2280. https://doi.org/10.3390/ani11082280. [Google Scholar]
  10. Chamorro MF, Palomares RA. Bovine Respiratory Disease Vaccination Against Viral Pathogens. Vet Clin North Am Food Anim Pract 2020;36(2):461–472. https://doi.org/10.1016/j.cvfa.2020.03.006. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Tests de formation continue

  1. Des cas de pneumonies fatales liées à M. hæmolytica ont été décrits récemment chez des vaches adultes.

    1. Vrai

    2. Faux

  2. L’effet d’une vaccination des vaches pour contribuer à protéger les veaux dans le contexte des affections respiratoires a été validée par un grand nombre d’études.

    1. Vrai

    2. Faux

  3. Les effets de la vaccination des vaches pour protéger les veaux dans le contexte des affections respiratoires sont très marqués.

    1. Vrai

    2. Faux

Liste des tableaux

Tableau 1

Effet de la vaccination des vaches sur l’incidence des premiers cas de bronchopneumonie infectieuse selon l’année.

Liste des figures

thumbnail Photo 1

Une protection partielle à la suite d’une épreuve virulente est observée chez des veaux dont les mères ont été vaccinées contre le VRSB et M. hæmolytica. (Crédit photo Guillaume Belbis).

Dans le texte
thumbnail Photo 2

Les bovins adultes constituent très probablement un réservoir favorisant l’infection des veaux. (Crédit photo Guillaume Belbis).

Dans le texte
thumbnail Photo 3

Lésions de pleuropneumonie chez une vache, secondaires à une infection par M. hæmolytica. (Crédit photo Guillaume Belbis).

Dans le texte

Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.

Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.

Le chargement des statistiques peut être long.